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Exportations d’armes et populations civiles : le « savoir-tuer » made in France

Dernière mise à jour : 27 sept. 2020



C’est l’objectif principal de la dernière campagne d’Amnesty International, lancée en même temps que la Fashion Week. Si la gastronomie et le luxe sont les piliers de l’exportation du modèle « à la française », la vente d’armes tient une place non négligeable dans les ressources économiques du pays.

Or, ces armes sont accusées d’être utilisées à l’encontre des populations civiles, notamment yéménites. Malgré le démenti des autorités exécutives, la France apparaît jouer un rôle décisif dans la guerre opposant les rebelles chiites houthis au gouvernement du Yémen, soutenu notamment par l’Arabie Saoudite. Alors que cette guerre est qualifiée de « pire catastrophe humanitaire au monde » par l’ONU, la place de la France dans la répression des civils est plus que jamais remise en question.


Une montée en puissance de critiques vis-à-vis de l’Armée française


« Moins de Fashion, plus de victimes » ; sur les panneaux d’affichage ou sur les réseaux sociaux, vous êtes peut-être tombés sur la nouvelle campagne d’Amnesty International, qui compare le succès des exportations d’armes françaises à celui de l’industrie de la mode. En même temps que d’autres ONG, telles que Human Rights Watch ou Médecins sans Frontières, elle critique ce commerce d’armes à la fois rentable et illégal.

La France, troisième exportateur d’armes au monde, ne manque pas de preuves pour démontrer sa puissance militaire. Les ventes d’armes françaises représentent un tiers du chiffre de l’industrie de l’armement ; en 2018, les commandes seulement représentaient environ 9,1 milliards d’euros. A titre de comparaison, pour l’industrie de la mode et de la haute couture française, le chiffre d’affaires à l’export en 2018 est de 35,7 milliards d’euros. Si Florence Parly, ministre des Armées, se félicitait du « meilleur chiffre de ces dernières années » dans un rapport au Parlement, c’est parce que ces exportations sont le symbole de la diplomatie française et de la place de la France dans les grands conflits internationaux. Pourtant, alors que l’apport économique de ces ventes d’armes n’est pas remis en question, c’est la clientèle de la France qui pose problème pour les ONG : l’Irak pendant la guerre de 1980-1988, l’Egypte, mais aussi et surtout les Emirats Arabes unis et l’Arabie Saoudite, premier client de la France.

En effet, ces deux nations jouent un grand rôle dans la guerre civile au Yémen, officielle depuis 2015. Appartenant à la coalition militaire, fidèle à l’ex-Président Ali Abdallah Saleh, les Emirats et l’Arabie Saoudite sont notamment accusés de crimes de guerre par l’ONU, de même que les rebelles houthis, soutenus par l’Iran. Toujours selon l’ONU, la famine semble toucher 14 millions de personnes ; entre l’utilisation d’enfants-soldats, d’armes explosives mal utilisées, de détentions arbitraires, tout semble accabler les différentes parties de ce conflit.

La population civile est alors prise « en étau » dans un conflit sur lequel elle n’a aucun pouvoir. Comment la France se positionne-t-elle dans un conflit où des exactions sont commises par toutes les parties ? En avril 2019, le média Disclose a révélé dans un rapport Confidentiel-Défense que des armes françaises sont utilisées au Yémen. De plus, la journaliste Anne Poiret s’interroge dans Mon pays vend des armes (2019) sur la valeur morale de ces ventes d’armes à des nations controversées.

La France a pourtant ratifié le Traité sur le commerce des armes, qui stipule qu’« Un État Partie ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques […] s’il a connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre […] des attaques dirigées contre des civils » dans son article 6. Les voix s’élèvent ainsi contre ces exportations massives jugées illégales et contraires à ce traité.


Un sujet tabou pour l’exécutif ?


Emmanuel Macron, le 9 mai 2019, indiquait dans une interview que « l’essentiel des armes est utilisée à l’intérieur du pays, où à la frontière » concernant l’Arabie Saoudite. Pourtant, malgré ce discours défensif, le sujet reste très tabou au sein de l’exécutif. Toujours en mai, trois journalistes ayant enquêté sur ce sujet ont été convoqués par la DGSI pour « compromission du secret de la défense nationale ». Les journalistes invoquent, eux, des informations d’intérêt public. Est-ce une tentative d’intimidation, comme le prétendait le média Disclose après ces convocations, ou une véritable nécessité de protection du secret défense ? Il reste toujours difficile de trancher cette question. Si ce sujet est de plus en plus évoqué par les médias, ces convocations ont limité la possibilité de se procurer des informations cruciales sur l’utilisation de ces armes.

Face à cela, la population elle-même se mobilise. Au Havre, une manifestation a eu lieu sur le port lors du chargement d’un navire saoudien, le Bahri Yanbu, qui devait livrer les armes françaises à l’Arabie Saoudite. Les manifestants et organisateurs refusaient de laisser partir ce navire tant qu’il n’avait pas été certifié que ces armes n’allaient pas être utilisées contre des civils. Si cette mobilisation reste localisée, cela prouve tout de même que ce sujet interpelle.

Ne pas savoir sur qui vont être utilisées nos armes, est-ce le prix à payer quand on est une puissance diplomatique influente ? Les armes françaises continuent d’être exportées massivement. Pourtant, la Belgique, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont déjà suspendu pendant quelques temps leurs exportations à l’Arabie Saoudite, suite à la guerre contre le Yémen mais également après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi.

En France, les armes et le luxe sont à la même position économique, c’est-à-dire des commerces lucratifs. Si cela implique des revers quand on est une telle puissance militaire, un contrôle à la fois populaire et parlementaire devient impératif. S’il est aujourd’hui question d’associer ou non le Parlement à cette question, le contrôle des exportations d’armes reste pour le moment dans les mains exclusives de l’exécutif. Depuis le début de la guerre, les chiffres officiels annoncent 10 000 morts civils au Yémen, dont 335 enfants depuis août 2018.

Clémence Leboucher

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