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Femmes et médias : dans les rédactions, sexisme et misogynie appellent à la prise de conscience

Dernière mise à jour : 27 sept. 2020

Cet article s'inscrit dans le cadre de la Semaine Contre le Sexisme ayant eu lieu du 9 au 15 mars 2020.



« En reportage, lors d’une soirée, j’avais la caméra (8kg) à l’épaule, un homme m’a touché le sexe » : #entendu à la rédac, le #balancetonporc du journalisme.


En 2017, le mouvement #MeToo a permis à de nombreuses femmes de témoigner et de parler librement autour du sexisme ordinaire et du harcèlement. Si ces témoignages ont permis une certaine évolution des mentalités, notamment au travail, le sexisme reste très présent dans le milieu du journalisme, et dans les médias en général.

Comment les médias, qui ont eu un rôle important pendant la période #MeToo, peuvent-ils encore être la source de comportements sexistes dans les rédactions ? Si ce phénomène reste tabou, notamment dans des rédactions reconnues, il est surtout lié à la domination économique dans un milieu particulièrement précaire.


La ligue du Lol, affaire centrale dans la démonstration du harcèlement au sein des rédactions


En février 2019, le journal Libération dévoile l’existence d’un groupe Facebook qui fera la une sur les réseaux sociaux pendant plusieurs semaines : La Ligue du Lol. Créé en octobre 2010, ce groupe Facebook d’« amis » et de journalistes influents est épinglé pour avoir utilisé leur notoriété pour harceler et se moquer de jeunes femmes, notamment dans des messages publics.

Les femmes visées, en général également journalistes et féministes, témoignent : montages photos, vidéos parodiques, homophobie, racisme, les prétextes sont bons pour harceler les nouvelles recrues. Le nombre de témoignages explose : c’est un « coup de massue » dans l’univers feutré du journalisme parisien.


#entenduàlarédac : version journalistique de #metoo


Si l’affaire de la Ligue du Lol n’a pas pu être traduite en justice (en raison de faits non qualifiés juridiquement), certains membres du groupe ont été licenciés : Alexandre Hervaux et Vincent Glad, journalistes à Libération qui avaient dévoilé l’affaire ; David Doucet, rédacteur en chef web des Inrockuptibles …

Cependant, cette affaire a au moins pu montrer l’ambiance qu’il pouvait y avoir au sein des rédactions françaises. Face à cela, les collectifs Prenons la Une, Paye ton Journal et #NousToutes lancent le #entenduàlarédac, pour rendre compte et témoigner de toutes les formes de sexisme ordinaire visant les journalistes.

Lancée en janvier 2017 par Anaïs Bourdet, journaliste de presse écrite, la page Paye Ton Journal vise à dénoncer le sexisme ordinaire subi par les journalistes au quotidien. Après Paye ta Schnek ou Paye ton Taf, elle publie des témoignages anonymes et alerte sur « l’hypocrisie qui règne dans les journaux, les télévisions ou les radios qui passent leur temps à dénoncer ces actes, alors qu'ils reproduisent la même chose au sein de leurs bureaux entre collègues ».

Les résultats de l’enquête #entenduàlarédac sont édifiants : plus de 3000 faits de violences sexistes ou sexuelles sont relatés. De plus, on apprend que ces faits concernent toutes les rédactions, régionales, locales ou parisiennes. Au total, 270 rédactions sont citées dans l’enquête, et 301 personnes (dont 94% de femmes) ont été témoins ou victimes de violences sexuelles.

Mais si le harcèlement et le sexisme sont présents au sein des rédactions, c’est peut-être aussi parce qu’ils le sont au sein des écoles. A l’ESJ Lille, en 2017, l’élue écologiste Sandrine Rousseau donne une conférence sur les stéréotypes de genre. Un groupe d’élèves, notamment masculins, la raille, se moque, notamment de ses critiques du terme « crime passionnel » ou de la culture du viol. Les directions d’écoles de journalisme tentent aujourd’hui de limiter le sexisme, mais on comprend que les mentalités se forment au sein des écoles, d’où la nécessité d’un réel encadrement.


Une domination économique et hiérarchique favorisant le harcèlement


« Pourquoi n’avons-nous pas parlé pendant toutes ces années ? Parce que ces gens-là avaient des postes importants, étaient amis avec des rédacteurs en chef influents » (Léa Lejeune, Slate)

Les faits de la ligue du Lol remontent à 2010 : ils montrent la difficulté pour les victimes de harcèlement de se défendre et de libérer la parole sur ces faits. Le journalisme est, notamment au début de carrière, un métier difficile et précaire, où l’on est payé à l’article. Dans ces conditions, la variable de genre est incontestable ; être une femme, peu payée, soumise à une hiérarchie particulièrement masculine et reconnue, est encore un danger en 2020.

Depuis les années 1960, la féminisation du journalisme a connu une évolution fulgurante ; aujourd’hui, 46,9% des journalistes sont des femmes, selon l’Observatoire des Médias. Cependant, ce sont les plus précaires : en 2017, elles constituent 53,7 % des pigistes, et seulement 44,6% des journalistes en CDI. Aude Lorriaux, porte-parole du collectif “Prenons la Une”, un des partenaires du #entenduàlarédac, déclarera à propos de la Ligue du Lol que « cela montre une nouvelle fois que, souvent, la carrière des hommes se construit au détriment de celle des femmes ».


Le sexisme n’est pas toujours présent qu’au sein des rédactions urbaines : l’exemple de l’enquête sur les algues vertes dans le milieu de l’agriculture


Invitée à une conférence à Rennes 2, dans le cadre des Mardis de l’Egalité, la journaliste Inès Léraud a pu raconter comment être une femme est à la fois un atout et un inconvénient pour réaliser une enquête. Pendant ses recherches sur les algues vertes, traduites dans la bande-dessinée Algues Vertes, L’histoire interdite, elle est confrontée à la fois au milieu très masculin de l’agriculture, mais également aux remarques sexistes des scientifiques et des directeurs de communication.

« Parfois, je devais jouer de ma féminité, de ma séduction, pour avoir des informations, ce qu’un homme n’a jamais besoin de faire ». Aidée de Morgan Large, journaliste locale à Radio Kreiz Breizh, les deux femmes se sont rendus compte des difficultés communes pour avancer dans l’enquête, de la méfiance accrue vis-à-vis d’une femme journaliste, de la difficulté pour les interlocuteurs à « faire confiance ».

Si l’on se souvient des premières journalistes féministes, Marguerite Durand, qui fonde le journal La Fronde, ou de Séverine, elles n’en sont pas moins les seules : Titiou Lecoq, sur France Inter, analyse l’actualité d’un point de vue féministe ; Rokhaya Diallo, journaliste féministe et antiraciste … Pourtant, les chiffres montrent que les journalistes renommées sont rares, et ont plus de mal à se faire une place dans l’univers feutré et secret des grandes rédactions.

A l’heure où les médias sont de plus en plus critiqués, il convient de faire venir dans les rédactions des nouvelles générations motivées et appliquées. Mais comment encourager nos jeunes générations, notamment féminines, à se lancer dans le journalisme si les conditions de travail et d’enquête sont aussi déplorables ?

Dommage qu’il ait fallu attendre de découvrir la Ligue du Lol pour entendre parler de ces affaires. Si des efforts notables ont été perçus, un gros travail, voire une totale remise en question, restent encore à faire dans les quotas et les mentalités sexistes, aujourd’hui résolument intégrés dans les rédactions françaises.


Clémence Leboucher

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