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« La surpopulation carcérale est un facteur majeur d’atteinte aux droits »

Dernière mise à jour : 10 nov.


Mourir à cause de punaises de lit est devenu possible, du moins en prison. C’est ce qui est arrivé à Lashawn Thompson, 35 ans, après avoir passé trois mois dans une cellule insalubre d’une prison de l’Etat de Géorgie aux Etats-Unis, son corps ayant été retrouvé avec des « marques d’infections extrêmement sévères de petits insectes ».

Cet été en France, c’est la buanderie de la prison de Nîmes dans le Gard qui se trouvait infestée de punaises de lit. Ces parasites prolifèrent notamment à cause de la promiscuité « qui démultiplie [leurs] sources de nourriture ». Il faut savoir qu’à Nîmes, le taux d’occupation carcérale avoisine les 225 % tandis qu’une soixantaine de détenus dorment sur des matelas au sol. Cette situation, qui est générale en France, peut mettre en danger les individus emprisonnés, et rendre leur détention incompatible avec le droit et les lois. Pour en parler, nous vous proposons un entretien avec Yanne Pouliquen déléguée à la communication auprès du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (C.G.L.PL).


ARESPUBLICA :

On vous reçoit au sujet de la surpopulation carcérale. Quelle est la réalité sur le terrain, qu’en est-il des conditions de vie, de travail, de détention pour les détenus, leur famille et le personnel en charge ?


YANNE POULIQUEN :

La surpopulation en prison se concentre sur les maisons d’arrêt, qui accueillent les prévenus en attente de leur procès sous mandat de dépôt ou qui purgent des peines de moins de deux ans. Ces établissements ne peuvent refuser l’accueil de nouveaux détenus, à la différence des établissements pour peine qui n’en acceptent par définition que s’ils ont les places suffisantes. L’encellulement individuel, qui est un principe inscrit dans la loi depuis 1875, n’est pas respecté. Ces cellules, qui font neuf mètres carrés pour un seule personne, peuvent en admettre deux, voire trois, à ce stade, le troisième dort sur un matelas par terre. La cohabitation avec d’autres détenus dans une pièce si exigüe ne peut qu’exacerber des conflits d’usage sur la télévision, le réfrigérateur, les toilettes, ou la douche, générant des tensions donc de la violence supplémentaire. Avec deux heures de promenade par jour, le détenu peut rester cloitrer dans sa cellule 22h sur 24. Toutes les activités prévues dans les prisons sont limitées parce saturées : des parloirs engorgés, le travail rémunéré concernant que 30 % des écroués, les services médicaux et psychiatriques débordés. A ce sujet, les exemples sont récurrents et toujours aussi alarmants. Le C.G.L.P.L. a reçu une lettre d’un détenu qui a dû s’arracher lui-même une dent à cause d’un abcès qu’il n’a pas pu se faire soigner auprès d’un dentiste. La vue des détenus peut se détériorer à cause de l’éclairage médiocre des cellules, sans aucune chance de consulter un ophtalmologue. A la prison de Toulouse, en 2021, plus de la moitié des demandes d’extraction pour des interventions en hôpital n’ont pas eu lieu, faute de personnel pour assurer l’escorte.

Ces détenus peuvent rester plusieurs mois, voire plusieurs années dans ces conditions du fait de la durée de leur détention provisoire, du temps que la justice met à juger leur affaire, ou de la peine à laquelle ils ont été condamnés. Pour eux, les atteintes à la dignité sont quotidiennes et, de fait, durables.

Alors que la prison est investie de plusieurs missions comme la mise à l’écart de la société, la punition des délits et des crimes, et la réinsertion en vue de la libération, ces missions ne doivent pas conduire à l’irrespect de la dignité humaine. La réinsertion, essentielle sur ces courtes peines, s’avère impossible. Alors le fait de sortir au bout de six mois sans avoir eu pu se réinsérer devient courant car aucun détenu n’a le temps de monter un dossier sérieux avec des perspectives d’avenir. La durée d’emprisonnement est longue pour l’individu concerné mais très courte pour l’administration, plus encore lorsque celle-ci manque de personnel. Au regard du risque de récidive, la sortie de délinquance apparait plus difficile.


Toutes ces atteintes à la dignité humaine sont-elles couvertes par le droit, et ouvertes à condamnations ? Que dit le droit à ce sujet ?


Il y a là une grave violation des droits fondamentaux. Et la France a été condamnée plusieurs fois par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la dernière fois en 2020, au titre de l’Article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme, qui prescrit que « personne ne peut infliger à quiconque des blessures ou des tortures » car « même en détention, la dignité humaine doit être respectée ». Le C.G.L.P.L. a alerté cet été sur la situation dans la prison de Grenoble. Outre une chaleur de 40 °C dans les cellules, outre les murs moisis et les fenêtres cassées, les détenus manquent des moyens d’assurer leur hygiène, ne prenant une douche que très rarement, pas plus de trois fois dix minutes par semaine. Aucune intimité possible dans les toilettes et dans les douches, dépourvues de portes ou de rideaux.


Compte tenu de ce que vous nous dites sur les conditions inhumaines d’incarcération en maison d’arrêt, pourquoi cette situation persiste-t-elle ; à quoi faut-il l’imputer ? Quelles sont finalement les causes de cette suroccupation carcérale ?



Déjà dans les années 1980, ce sujet de surpopulation se posait. Néanmoins, il y a eu une baisse des taux d’occupation autour des années 2001-2002 suite à la Loi Guigou sur la présomption d’innocence (modifiant les critères pour ordonner une détention provisoire). Pour autant, la surpopulation ne cesse d’augmenter malgré les travaux importants pour ouvrir de nouvelles places de prison. Le parc carcéral a été doublé depuis vingt ans. Ce n’est pas foncièrement la question d’une augmentation forte de la délinquance sur le territoire mais plutôt une augmentation des infractions passibles de peines de prison, et une augmentation de peines longues. Se sont développées aussi les comparutions immédiates, qui ont ce défaut d’être l’une des principales procédures pourvoyeuses de courtes peines de prison, quand on sait que la durée moyenne des condamnations prononcées en France se situe autour de 12 mois, peines qui se purgent en maison d’arrêt. Une procédure qui ne laisse pas le temps, ni aux magistrats, ni à l’administration de réfléchir à des peines alternatives. Malheureusement, existe encore cette idée que s’il n’y a pas de prison, il n’y a pas de peine et que la prison reste la reine des peines. Il est très difficile de sortir de ce paradigme qui voudrait que la prison soit la seule peine valable.


Mais alors que recommandez-vous pour sortir de cette surpopulation dans les prisons ?


Pour une solution immédiate, il faudrait mettre en place un mécanisme national contraignant de régulation carcérale. L’idée est de jouer sur les flux ; quand il y a besoin d’incarcérer un nouveau détenu, il faut accélérer la procédure d’aménagement de peine d’une personne proche de la sortie. Le C.G.L.P.L. recommande d’interdire l’usage des matelas au sol, propose que la justice et le législateur impulsent une réflexion approfondie sur l’usage des comparutions immédiates et sur l’échelle des peines, dans l’idée ici de promouvoir la décarcération d’un certain nombre de délits pour lui préférer d’autres outils répressifs. L’administration pénitentiaire devrait revoir ses capacités de gestion des prisons à l’aune non pas des places opérationnelles effectives mais des places réelles. Il faudrait ici intégrer la perspective de la surpopulation carcérale dans les schémas d’organisation, afin d’anticiper les besoins, pour améliorer les conditions de détention, et ceci en prévoyant un nombre supplémentaire de personnel de surveillance, de santé, et d’insertion.


Propos recueillis par Noé Pastout-Clouzeau

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