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Le cinéma de Fritz Lang des années 20, Miroir de l’Allemagne

Dernière mise à jour : 27 sept. 2020



Le cinéma est sans doute l’un des outils de propagande les plus efficaces. Contrairement aux meetings, rencontres ou allocutions, il n’est pas exigeant. En effet, on va plus volontiers au cinéma en famille qu’à un meeting. Le cinéma a aussi la capacité, sous couvert de divertissement, de rendre son message plus subtil. C’est bien cette dissimulation qui rend la transmission du message plus aisée.


La manipulation et le contrôle de l’image sont des moyens très utilisés par les régimes autoritaires et totalitaires. Cela l’a aussi été pour certains gouvernements démocratiques européens et outre-Atlantique. L’un des exemples les plus connus de film de propagande est Olympia (les Dieux du Stade) de Leni Riefenstahl, tourné à l’occasion des Jeux Olympiques de Berlin de 1936. A travers des séquences exemplaires, ce film cherche à apporter la preuve visuelle de la supériorité naturelle de l’homme nordique. Certes moins subtil que d’autres productions national-socialistes, Olympia s’inscrit dans la volonté du régime nazi d’utiliser au mieux l’ensemble des moyens disponibles pour réaliser sa propagande.


Leni Riefenstahl, novice de la réalisation, a certes pu séduire Adolf Hitler par ses talents d’actrice et ses premières réalisations, elle n’était toutefois pas le premier choix du régime. Celui-ci était Fritz Lang. Immense réalisateur allemand, il a réalisé de nombreux chefs d’œuvres tels  M – Eine Stadt sucht einen Mörder (M le Maudit) ou son fameux Cycle des Nibelungen qui lui ont valu une renommée mondiale. L’idée de le choisir comme réalisateur officiel du jeune régime nazi n’était pas dénuée de sens. En plus de sa renommée mondiale (il a d’ailleurs été une grande source d’inspiration pour Alfred Hitchcock), il était marié à la très célèbre scénariste Thea von Harbou qui adhérait aux idées nazies. Fritz Lang a toutefois décliné la proposition, divorcé de sa femme et fuit pour la France dès 1933 avant de rejoindre les Etats-Unis l’année suivante. Dans ses œuvres des années 1920, on distingue bien, en arrière-plan, l’Allemagne de son temps, l’Allemagne de Weimar, L’Allemagne des goldene Zwanziger (années folles allemandes), l’Allemagne de la montée du nazisme. Lui-même affirmait que le cinéma avait pour but de représenter les défauts du réel, sans chercher à les résoudre. En compagnie de Fritz Lang, plongeons donc dans l’Allemagne de l’entre-deux guerre.


L’Allemagne de Weimar, die goldene Zwanziger


Le régime de Weimar (du nom de la ville où la Constitution fut promue) est le court régime qui précède le IIIème Reich. Proclamé en 1918, sa constitution est adoptée en juillet 1919. C’est une république parlementaire. 463 députés (le nombre varie selon les législatures) siègent dans le Reichstag (chambre basse) pour 4 ans à la suite d’un scrutin proportionnel à un tour. Contrairement à aujourd’hui, le chancelier est nommé par le Président du Reich. Ce dernier, élu par le peuple, dispose de pouvoirs suffisants pour contrebalancer les grandes prérogatives du Reichstag. La République de Weimar est un régime de partis très instable du fait du peu de compromis entre les différents partis. C’est cette instabilité qui participe à la montée du NSPAD et à sa disparition, entérinée le 23 mars 1933 par le vote donnant les pleins pouvoirs au chancelier Adolf Hitler.


La fin de la guerre, les remontées économiques florissantes du début des années 20 et la proclamation d’une république libérale ont amené beaucoup de changements dans la vie allemande, tant d’un point de vue politique (droit de vote accordé aux femmes) que culturel ou social. Le Groß Berlin (élargissement de Berlin en 1920) devient le centre culturel de l’Europe. En effet, c’est dans le Berlin de l’après-guerre que vivent et se côtoient nombre d’artistes renommés. On peut mentionner Käthe Kollwitz, Otto Dix ou encore le réalisateur Berthold Brecht. C’est dans cette émulsion d’artistes que s’épanouissent des mouvements picturaux tels l’expressionnisme. Fritz Lang était d’ailleurs un peintre d’inspiration expressionniste avant de devenir cinéaste.


Cette culture artistique berlinoise se retrouve mêlée à une grande passion pour les fêtes à Berlin. En effet, Berlin est aussi le lieu où bourgeois et autres populations aisées se retrouvent dans salons, bars ou encore cabarets. Cette ambiance festive est particulièrement visible dans Doktor Mabuse, der Spieler (Docteur Mabuse, le joueur). On passe de clubs de jeu réservés aux hommes aux Folies Bergères (un cabaret) en passant par de luxueux restaurants abritant des salles de jeu clandestines. Dans l’un des restaurants, le Schramm’s, on est frappé par la variété des repas servis mais aussi par la surabondance de richesses - une femme porte plus de 5 colliers de perles en plus de sa parure, également de perles. Le personnage de la Comtesse Told nous éclaire beaucoup sur cette bourgeoisie frétillante. En recherchant amusement et divertissement, elle cherche en réalité à tromper l’absence de sens de sa vie. Les scènes de richesses immenses cachent une société désabusée en manque d’être. C’est d’ailleurs là le sens d’une des répliques du film, «  Kokain oder Karten », d’un des serveurs du Schramm’s. En plus de la profusion de nourriture du restaurant, seules la cocaïne et les cartes sont disponibles pour les clients. Ce sont les seuls moyens d’existence de ces Don Juan allemands.


Toutefois, cette profusion de richesses cache également une Allemagne immensément pauvre. Cette pauvreté, frappant majoritairement les populations ouvrières, est à la fois due à une forte inflation mais aussi aux colossales indemnités de guerre exigées par le traité de Versailles. Dans M – Eine Stadt sucht einen Mörder, on voit en grand nombre les mendiants, les estropiés et les habitations décrépies où s’entassent les familles. L’image poignante de la misère ouvrière de Berlin se retrouve dans de nombreux tableaux d’époque, notamment ceux de Käthe Kollwitz (qui vivait dans le quartier ouvrier de Kreuzberg dans le nord de Berlin). Cette pauvreté se retrouve aussi dans le film Doktor Mabuse, der Spieler lors des déplacements entre les salles de jeu à travers des rues sales, sombres et étroites. C’est cette dichotomie entre richesse et pauvreté, profusion et manque que Fritz Lang parvient à montrer dans ses films. La pauvreté d’une grande partie de la population participe d’ailleurs tout autant à la montée des extrémismes que l’incapacité du régime de Weimar à faire consensus au sein de la population allemande – on peut évoquer ici l’insurrection spartakiste en 1918 ou encore le putsch de la brasserie en 1923.


La montée du nazisme, la faillite de Weimar


La montée des extrémismes, représentée par l’image de la pègre, est très présente dans l’œuvre de Fritz Lang. Tout d’abord, on peut simplement évoquer l’omniprésence du crime en Allemagne grâce au personnage du docteur Mabuse. Ce criminel protéiforme et as du camouflage est à l’image même du crime. Il évolue, sous différents visages – symbole de l’omniprésence du crime, dans une Allemagne qui ne respecte plus lois (les salles de jeu clandestines fréquentées par les populations aisées sont ici exemplaires). Cette omniprésence se constate par ses tromperies dans les salles de jeu, les manipulations mentales ou encore la gigantesque opération de spéculation boursière dans une bourse effervescente. Ce crime partout présent mais sans visage se retrouve aussi dans Spione (les Espions) où l’antagoniste, à la fois directeur de banque et clown dans un cirque, cherche à dominer le monde par une société secrète.


Une illustration possible de l’Allemagne des années 20 se trouve dans son équivalent américain, les Roaring Twenties. Le Jay Gatsby organisateur de fêtes excentriques cache le Jay Gatsby trafiquant d’alcool lors de la Prohibition. La dualité de Jay Gatsby est à l’image des milieux criminels de M – eine Stadt sucht einen Mörder. Les milieux criminels constituent une véritable économie souterraine. Au fur et à mesure que les crimes s’accumulent et que la police devient de plus en plus active (mais tout autant inefficace), la pègre voit son activité diminuer. C’est d’ailleurs cela qui l’amène à rechercher le meurtrier et à l’éliminer à la suite d’un simulacre de procès.


La gestion de ce meurtrier par la pègre révèle bien plus qu’une simple volonté de reprendre ses activités lucratives. Comment ne pas voir en cette pègre, véritable contre-société, l’image de la montée du nazisme ? En effet, au-delà de la réussite de cette chasse à l’homme par l’usage des mendiants (totalement délaissés par le reste de la société), on peut distinguer l’échec d’un système. La pègre retrouve bien plus efficacement le criminel que la police, malgré tous les moyens mis en place par cette-dernière. C’est donc bien la République de Weimar qui est dépeinte dans ce film. Cette République qui souffre d’un mal qu’elle ne parvient pas à guérir du fait de son instabilité. C’est alors aux groupes plus violents de prendre en charge la gestion d’un Etat défaillant. De surcroît, le procès du meurtrier illustre bien les idées nazies. Le meurtrier, assurément fou et ne maitrisant pas ses actes, n’est pas considéré comme un être humain mais comme une menace à la société. Le tribunal populaire (autre idée nazie) le condamne donc à mort.


Pour continuer brièvement sur la montée du nazisme, on peut évoquer le cycle des Nibelungen de Fritz Lang. La réalisation de cette formidable épopée allemande du XIIIème siècle n’est pas anodine. A un parti nazi qui défend l’histoire d’un peuple allemand historiquement puissant, Fritz Lang oppose l’image d’un Siegfried certes puissant mais aussi assez benêt et belliqueux à outrance. Ce cycle de deux films va également à l’encontre de la doctrine nazie. Les nazis considèrent que ce sont les autres races qui veulent annihiler l’Allemagne, juifs en tête. Ici, c’est l’Allemand qui trompe et tue.


L’exemple de M – Eine Stadt sucht einen Mörder montre bien la tension qui traverse l’Allemagne dans la fin des années 20 et le début des années 30. Il y a peu de forces pour lutter contre la montée en puissance du parti nazi. La République de Weimar, qui souffre des dissensions politiques dans son Parlement et des affrontements quasi-journaliers entre nazis et communistes, ne peut que se laisser mourir. La victoire électorale du NSDAP en mars 1933 et la mort du président Paul von Hindenburg en août 1934 marquent la fin d’une république libérale trop faible pour tenir face à ses opposants.


Par sa filmographie, Fritz Lang nous livre bien plus que des chefs d’œuvres de l’histoire du cinéma. On voit aussi une image de la société de son temps. On a pu constater la tension entre montée du nazisme sous-jacente et cette société de fête. On sait certes le refus de Fritz Lang d’être réalisateur du IIIème Reich mais on peut toujours s’interroger sur sa relation vis-à-vis du discours nazi. Sa femme écrivait ses scripts et adhérait aux idées nazies. Il lui était facile d’intégrer des références et propos proches de ses convictions dans ses scénarios. D’ailleurs la conclusion de Metropolis inciterait à aller dans ce sens :


"Le médiateur entre le cerveau et la main doit être certainement le cœur"


L’union entre les classes ouvrières et supérieures ne peut se faire qu’avec le cœur, qu’avec le sang, uniquement grâce à la race. Il est difficile de croire que Fritz Lang ait ignoré le sens profond de ceci. Ainsi, en admettant la grande qualité et l’apport cinématographique des films de Fritz Lang, on ne peut occulter cette zone d’ombre de la personnalité du réalisateur. Toutefois, la réalisation, aux Etats-Unis, de films ouvertement anti-nazis dans les années 40 marque définitivement la fin de ce flou idéologique.


Baptiste Bouchet

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