Le droit à l’avortement : on en est où ?
Dernière mise à jour : 27 sept. 2020

Il y a quelques semaines Donald Trump a annoncé qu’il comptait participer à une manifestation pro-life, et donc anti-avortement. C’est le premier président des Etats-Unis à y prendre part dans un pays où le droit à l’avortement, pourtant autorisé depuis 1973 est de plus en plus fragilisé. En 2019, quatorze Etats américains ont signé des lois limitant le droit à l’avortement, tandis que les subventions versées aux établissements pratiquant l’IVG avaient déjà été supprimées. Des mesures inquiétantes alors que les Etats-Unis font partie de la minorité des Etats à avoir légalisé l’avortement.
En France, l’IVG est légalisé depuis la loi Veil de 1975 jusqu’à 12 semaines après le début de la grossesse. Simone Veil étant devenue une véritable icône, son combat a quelque chose de presque mystique. Mais il ne faut pas oublier que la loi a seulement fêté ses quarante cinq ans et qu’un retour en arrière est toujours possible. En 2010, l’Etat espagnol a légalisé l’IVG mais dès 2013 un projet de loi visait à réduire le recours à l’avortement qu’en cas de viol ou de danger pour la mère, et ce suivant une procédure très restrictive. Heureusement face à la polémique et la pression populaire, le gouvernement avait abandonné le projet. Passé la barrière juridique, des limites de fait à l’avortement apparaissent régulièrement : les médecins peuvent refuser de pratiquer l’IVG, ce qui pose des problèmes techniques. Il est évident que ce droit à l’objection de conscience ne peut et ne doit pas être remis en cause. Il n’empêche que cela pose question quant à l’accessibilité à l’IVG pour toutes lorsque dans certains hôpitaux aucun médecin n’accepte de le pratiquer. En Italie ce sont 70% des médecins qui refusent l’IVG, le rendant quasiment inaccessible.
Juridiquement, le droit à l’avortement se mesure par degré. En France, comme dans la plupart des pays européens, il n’existe pas de limite de motif : une femme n’a pas besoin de justifier son recours à l’avortement. Mais la plupart des Etats dans le monde interdisent ou limitent fortement son accès. Si dans la majorité des pays d’Afrique et du Moyen Orient il ne peut être pratiqué qu’en cas de danger pour la santé de la mère ou pour l’enfant, et plus rarement en cas de viol ou d’inceste, il reste totalement illégal à Malte où les avortaires risquent trois ans de prison. En plus du poids de la décision et de leur mise en danger, ces femmes s’exposent donc aussi à des poursuites judiciaires et des amendes. D’autres Etats l’autorisent si la mère le justifie par des motifs socio-économiques, comme en Angleterre, en Finlande ou encore en Inde.
Ces interdictions sont souvent dues à un tabou sur la question de la sexualité des femmes et de leur liberté à disposer de leur corps. Des visions moralistes et conservatrices qui conduisent des femmes à avorter à l’étranger, ou par des réseaux associatifs internationaux. Par exemple l’ONG néerlandaise « Women on Waves » envoie des médicaments abortifs par la Poste, notamment à Malte. Mais pour celles qui n’ont pas les moyens de se déplacer ou qui ne sont pas dans de tels réseaux, le recours à l’avortement se fait dans la clandestinité, souvent au péril de leur vie. Des gynécologues acceptent de pratiquer des avortements illégaux, s’exposant à des années de prison et des dizaines de milliers d’euros d’amende, pour garantir des conditions décentes d’hygiène et sauver des vies. Cela reste cependant une minorité et les « avorteuses d’arrière-cour » sont plus courantes : elles s’exécutent la plupart du temps avec des aiguilles à tricoter (rarement stérilisées). Ainsi trois avortements sur quatre ne sont pas sécurisés en Afrique et près d’un avortement sur deux dans le monde est à risque.
La mortalité due à l’avortement augmente encore, notamment avec la diffusion des avortements clandestins par médicament en Amérique latine. Face à l’urgence de la situation et l’universalité du problème, des mouvements féministes et pro-choix émergent, notamment en Amérique du Sud. Pas plus tard que le 31 janvier 2020, les foulards verts, symbole des défenseuses de l’IVG en Argentine ont manifesté devant le Parlement. En 2019, la légalisation avait été adoptée par les députés mais refusée par les sénateurs. Un nouveau projet de loi libéralisant l’accès à l’IVG doit être adopté le 8 mars, journée de la femme. Le Chili a dépénalisé l’avortement en 2017 et l’Irlande l’a légalisé fin 2018.
Globalement le droit à l’avortement progresse, trop lentement peut-être : un changement qui suit l’évolution de la condition de la femme dans les différents pays. Mais concernant les droits des femmes, quand un combat semble gagné, il ne l’est jamais tout à fait. Régulièrement, des dirigeants (généralement populistes) remettent en cause les avancées féministes, y compris l’accès à l’avortement, comme a voulu le faire Bolsonaro au Brésil. Une réalité que déjà Simone de Beauvoir avait saisi au XXe siècle alors qu’elle écrivait : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne seront jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durante ».
Morgan Lairy