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Les femmes à l'épreuve de la pandémie (Lomée Lebreton)


Cet article s'inscrit dans le cadre de la Semaine Contre le Sexisme ayant eu lieu du 8 au 14 mars 2021.


Depuis plus d’un an, la pandémie du covid 19 s’est installée dans notre vie quotidienne. Il est évident qu’un virus ne peut pas pratiquer de discriminations, mais il s’est révélé indéniable que les conséquences sociales et économiques résultant de cette crise sanitaire sans précédent ont eu une influence particulière sur les femmes. C’est dans une telle situation que les failles d’une société apparaissent au grand jour. L’analyse du contexte actuel à travers le prisme du genre montre ainsi que le confinement et la pandémie n’ont fait que renforcer des déséquilibres déjà existants.


En première ligne pour combattre l’épidémie, les travailleurs du care (terme désignant les métiers liés aux soins) mais également les employés des grandes surfaces ou dans le secteur des services, ont été particulièrement sollicités. Or, ces secteurs réputés pour être peu rémunérateurs et peu gratifiants emploient en grande majorité des femmes. Les effets du covid sur l’emploi sont considérables. Davantage touchées par les emplois précaires (14,4 % pour les femmes contre 12,8% pour les hommes en France en 2019), par des salaires plus bas mais aussi par une absence de représentation aux postes de direction, la capacité des femmes à résister au choc économique résultant de la crise sanitaire est donc plus faible. Les mères monoparentales, par exemple, sont ainsi particulièrement touchées par ce choc économique qui vient fragiliser une situation souvent déjà incertaine. L’une des dernières études publiée par McKinsey intitulée “Women in the workplace 2020” estime même qu’aux États-Unis, la situation des femmes et notamment des femmes racisées, pourrait faire un bond en arrière d’un demi-siècle à cause du covid. Et quand bien même une femme aurait un emploi qualifié, elle serait plus suceptible de ressentir une intense fatigue, d’être victime de dépression ou de burn-out que son collègue masculin, notamment en période de confinement.


L’une des mesures directes du gouvernement pour contrer la propagation du covid 19 et désengorger les hôpitaux fut d’instaurer des confinements pour la majorité de la population française. Inédits et angoissants pour beaucoup, particulièrement lors du premier confinement, il ressort que les femmes ont été les premières à pâtir de cet enfermement. Déjà majoritairement responsables des tâches quotidiennes liées à l’entretien du foyer (3h26 contre 2h pour les hommes selon l’INSEE), la cohabitation permanente sans possibilité de sortir aurait pu déboucher sur un meilleur partage des tâches entre les conjoints (particulièrement dans les couples hétérosexuels). Or, les nombreux témoignages sur les réseaux sociaux, comme par exemple sur la page instagram “tu as pensé à…?”, attestent d’une augmentation significative de la charge mentale des femmes depuis le mois de mars. La charge mentale “correspond à la charge cognitive que représente la gestion du foyer au quotidien, généralement portée par les femmes. [Cette charge est] cognitive, car elle ne consiste pas seulement en l’exécution des tâches domestiques mais en leur anticipation et en leur planification”. Cela rend bien compte de l'existence d'une double charge de travail, tant professionnelle que personnelle, exacerbée lors du confinement. En effet, les femmes dont l’emploi leur permettait de rester télétravailler se sont ainsi retrouvées à jongler entre les réunions zoom, les tâches domestiques ainsi que l’apprentissage ou la garde des enfants.


Enfermées, parfois avec des enfants, les femmes sont également plus exposées à de la violence physique et/ou sexuelle. Elles se retrouvent ainsi piégées à huis clos avec leur agresseur lors des confinements, sans échappatoire possible d’un foyer dangereux. La question des violences conjugales et des féminicides a été particulièrement scrutée par le gouvernement ainsi que par les associations. En France, les différentes plateformes et institutions impliquées dans la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales ont vu leurs appels et interventions doubler pendant le premier confinement. Le 3919 (numéro gratuit et anonyme à destination des victimes de violence sexiste et sexuelle) a été particulièrement sollicité de mars à avril 2020. Des dispositifs permettant aux femmes et à leurs enfants de sortir de la cellule familiale ont vu le jour pour faire face à la situation. On peut notamment citer l’initiative des associations et des mairies qui ont ouvert de nombreux logements sociaux et des hôtels pour pouvoir y accueillir des familles ou des femmes seules fuyant leur conjoint.

La violence à l’égard des femmes s’est également renforcée dans la sphère publique. Paradoxe de la situation, pandémie et confinement sont synonymes de désertification de l’espace public, entraînant une nouvelle dynamique d’occupation. On a ainsi vu les femmes disparaître tandis que des hommes, souvent en bande, apparaissaient et reprennaient le contrôle de la rue. Lors du premier confinement, de nombreuses femmes ont fait part de leur impression d’insécurité sur les réseaux sociaux : “J’ai eu comme un sentiment d’effroi en me disant que si quelqu'un m’aggressait ici, je n’aurais personne pour m’aider. Cette pensée est revenue plusieurs fois quand je me promenais seule”. Seules dans la rue sans aide possible, les magasins étant fermés, il était impossible de se réfugier quelque part. Tous ces paramètres permettent de bien illustrer la recrudescence paradoxale du harcèlement de rue.

Mais le harcèlement sexuel, à la faveur des confinements, a également investi l’espace privé des femmes en se développant via internet. Une nouvelle forme de revenge porn (contenu sexuellement explicite qui est publiquement partagé en ligne sans le consentement de la ou des personnes apparaissant sur le contenu dans le but d'en faire une forme de “vengeance”) et de slut shaming (qui consiste à stigmatiser, culpabiliser ou disqualifier toute femme dont l'attitude ou l'aspect physique serait jugé provocant ou trop ouvertement sexuel) a vu le jour sur internet et a explosé depuis le mois de mars. Des comptes dits “ficha” affichent ainsi publiquement des photos de jeunes femmes, très souvent mineures, ainsi que des informations personnelles, avec pour but de les humilier publiquement à travers leur sexualité. Dans un tweet sur le sujet publié le 7 avril 2020, l'avocate Rachel Flore Pardo explique que “le confinement a un effet amplificateur sur le cyber-harcèlement. Avec l’augmentation du trafic internet, les auteurs publient plus et ont plus d’audience. Mais surtout, l’impact est plus fort sur la victime qui est confinée, donc isolée.” Les auteurs de ces comptes expliquent eux-mêmes que ces comptes “fichas” leur permettent de tromper l’ennui du confinement. Or, ces comptes viraux, qui sont parfois suivis par plusieurs milliers d’abonnés, sont d’une violence inouïe pour ces jeunes femmes qui se retrouvent affichées aux yeux de tous, et qui n’osent généralement pas porter plainte.


Enfin, la pandémie permet d’illustrer le caractère essentiel de la gestion des pouvoirs publics, et plus particulièrement des gouvernements, en cas de crise sanitaire. La lutte contre le coronavirus n’est pas seulement une question médicale mais aussi une problématique politique. Dans l’article intitulé “Les pays dirigés par des femmes ont-ils mieux réagi face à la pandémie ?” publié dans le magazine Forbes, Avivah Wittenberg-Cox prône les mérites d’un leadership “féminin” des cheffes d'États dans la gestion de la crise. Elle explique que ces dirigeantes se caractérisent par leur honnêteté, par leur esprit de décision et par l’amour prodigué à leur population, faisant ainsi des femmes des meilleures gestionnaires de crises. Elle illustre son propos de nombreux exemples comme celui de la présidente de Taiwan, Tsai Ing-wen, qui dès janvier a mis en place 124 mesures pour bloquer le virus hors de son pays, ce qui a permis de limiter le nombre de décès liés au coronavirus à huit cas. Ses mesures ont d’ailleurs été qualifiées par CNN “d’une des meilleures réponses au monde [face à la pandémie]”. Les exemples concrets et indéniables illustrés dans l’article de Forbes ne sont pas à remettre en cause, loin de là, mais l’argumentaire est bancal. Arwa Mahdwi, rédactrice d’une newsletter féministe dans le Guardian (“This week on Patriarchy”), remet en perspective cette approche en précisant qu’une explication essentialiste n’est pas adaptée car ayant dû plus travailler pour être reconnues et atteindre le sommet du pouvoir, ces femmes dirigeantes seraient in fine plus qualifiées pour gérer des crises de cette ampleur. Les cheffes d’Etats ne possèdent donc pas de qualité intrinsèquement féminine comme l’amour. L’économiste Rebecca Amsellem s’appuie sur l’argumentation d’Arwa Mahdwi pour conclure, dans sa newsletter des Glorieuses à propos de l’article de Forbes :


“Ainsi, les femmes sont de meilleures dirigeantes dans ce contexte de crise sanitaire non pas parce que ce sont des femmes ni parce qu’elles font preuve de qualités “ féminines” mais parce qu’elles ont les compétences nécessaires pour diriger un pays. Il n’est donc pas temps d’élire davantage de femmes comme le dit la conclusion de l’article de Forbes. Il est temps d’élire davantage de personnes qui ont les qualifications nécessaires pour être des dirigeant·e·s.”


Lomée Lebreton

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