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Prostituées et travailleuses du sexe: les oubliées des pouvoirs publics français

Dernière mise à jour : 27 sept. 2020


La prostitution, un des métiers les plus dangereux au monde, est une activité qui dérange et qui pourtant existera probablement toujours. Voie de sortie de la misère, tentative de survie mais aussi parfois choix délibéré, c’est est un véritable sujet de société. Malgré tout, en France les prostituées restent une communauté marginalisée et ignorée des pouvoirs publics, longtemps rejetée par les féministes. Comme tout ce qui est tabou, le monde de la prostitution est victime d’une véritable méconnaissance par le grand public, au détriment des travailleuses du sexe elles-mêmes. Des études sont menées depuis plusieurs années pour essayer de chiffrer ce phénomène, savoir qui sont ces femmes, d’où viennent-elles, ce qu’elles attendent et comment les aider si besoin. Mais pour des raisons évidentes d’anonymat et de discrétion, ces chiffres manquent souvent de précision.


La prostitution en France en quelques chiffres


Plus d’un tiers des hommes français ont déjà eu un rapport sexuel avec une prostituée au cours de leur vie. En France en 2015 le chiffre d’affaire lié au milieu de la prostitution représentait 3,2 Milliards d’euros. On comptait alors environ 37 000 personnes prostituées, dont 85% à 90% de femmes. Aujourd’hui, 62% de la prostitution en France se passe sur internet, 50% dans les rues, 8% dans les bars à hôtesses ou les salons de massage, la rendant difficile à mesurer. Plus de 80% des prostituées en France sont d’origine étrangère. La plupart viennent d’Europe de l’Est (Roumanie, Bulgarie), d’Afrique subsaharienne (Ghana, Nigeria), de Chine ou du Brésil. Ces femmes, souvent très jeunes, sont prises dans des réseaux de proxénétismes. On les fait venir en France en leur promettant un avenir meilleur et on leur confisque leur passeport à leur arrivée, les obligeant à rembourser leurs « frais de voyage » dans des délais impossibles à tenir. 90% des travailleuses du sexe (françaises ou étrangères) exercent pour le compte d’un proxénète.


Législation et réalité du terrain : l’Etat français en décalage


En France la prostitution est légale pour les personnes majeures et hors proxénétisme mais certaines activités l’entourant sont cependant interdites. Les maisons closes sont illégales depuis 1946 et les hôtels de passe fermés depuis 1960. Des mesures, censées améliorer les choses, qui dégradent les conditions de travail des prostituées.


Certaines d’entre elles vont d’ailleurs s’insurger contre l’insécurité et les persécutions policières en 1975 en occupant l’Eglise de saint-Nizier à Lyon, avec le soutien d’associations catholiques (cf les travaux de Lillian Mathieu : « Une Mobilisation improbable : l’occupation de l’Eglise saint-Nizier par les prostituées lyonnaises »). Mais elles restent au mieux ignorées, au pire raillées par les pouvoirs publics et dans les années 80 les prostituées sont massivement touchées par les épidémies de SIDA. Dans les années 90, des travailleuses du sexe plus jeunes et pour la plupart étrangères arrivent en France, donnant encore un autre visage à la profession. En 2003 le racolage devient passif de délit : pour lutter contre la prostitution on décide de punir la femme, souvent dans une situation de précarité, et non le client.


Pour des raisons éthiques évidentes, cette disposition fait débat et sera modifiée par la loi « Prostitution, Vallaud-Belkacem » du 13 avril 2016 : on remplace le racolage par la pénalisation du client. Cependant les premières victimes de cette mesure sont les prostituées elles-mêmes. Un Rapport de Médecins du Monde rendu en avril 2018 décrit que 63% des interrogées ont vu leur qualité de vie diminuée et 78% ont subit une baisse de leurs revenus depuis l’entrée en vigueur de la loi. Elles dénoncent un écart très important entre une politique nationale qui visent à les protéger et les politiques locales qui les pénalisent constamment par des arrêtés municipaux, des contrôles d’identité… La police les intimide (voire les persécute), elle ne les protège pas. D’autant plus que depuis que c’est le client qui prend un risque en faisant appel à leurs services, les travailleuses du sexe ont perdu du pouvoir dans leur rapport avec leurs clients. Cela entraîne une baisse des prix, un recul de l’usage du préservatif, des ruptures de prise de traitements des personnes séropositives… Et surtout, et c’est le plus remarquable, une augmentation considérable des violences physiques, sexuelles et morales.


Autre mesure phare de la loi de 2016 : le parcours de sortie de prostitution. Si le dispositif semble au premier abord adapté, sa mise en pratique pose question. Les prostituées souhaitant en bénéficier doivent déposer une candidature et promettre d’arrêter de pratiquer afin d’obtenir une autorisation de séjour de 6 mois (renouvelable trois fois) pour les étrangères et un accompagnement par des associations agréées. Mais les conditions d’accès sont très difficiles. On ne prévoit un soutien que pour les prostituées qui s’engagent à arrêter tout travail d’ordre sexuel alors que l’allocation qui leur est versée est très loin d’être suffisante pour vivre. De plus, les dossiers sont examinés par des commissions mal informées sur les réalités du terrain, qui mettent beaucoup de temps à se mettre en place, et ce de manière inégalitaire sur le territoire national. D’autant plus que le temps d’examination et de réponse sont très longs. Les travailleuses du sexe s’inquiètent aussi que cela ne serve à renforcer le contrôle social dont elles sont déjà victimes et se questionnent sur l’utilisation de leurs données personnelles en cas de refus du dossier. Enfin, cela risque de stigmatiser celles qui ne souhaitent pas faire partie du parcours. C’est pourquoi une association, après un refus du Conseil Constitutionnel en février 2019, a récemment demandé à la Cour Européenne des droits de l’Homme une abrogation de la loi de 2016.


Il est en effet prouvé que des solutions viables existent à ce qui reste malheureusement un problème social en France, notamment en raison des tabous autour de la profession. Mais parce que le rôle de l’Etat devrait être de protéger ses citoyens et non de porter un jugement moral sur leurs activités, des mesures de réforme en phase avec la réalité s’imposent. De meilleures conditions d’exercice et d’hygiène, la reconnaissance d’un certain statut juridique et social comme garantie d’une certaine stabilité et sécurité financière, la protection des services publics… Voilà des exemples de mesures envisageables et applicables. Certains de nos voisins européens sont moins timides et ont décidé d’autoriser la prostitution, selon des degrés divers mais avec des effets bénéfiques pour les prostituées. C’est le cas de l’Allemagne, de la Suisse, du Danemark ou encore des Pays-Bas.


La prostitution légalisée: en quoi ça consiste ? L’exemple d’Amsterdam


Amsterdam est une ville mondialement connue pour son libéralisme culturel, capitale de la prostitution légale. Le Quartier Rouge, reconnaissable à ses néons rouges, en est d’ailleurs un lieu emblématique. La plupart des femmes qui travaillent à De Wallen (nom local du quartier) ont choisi ce métier, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Indépendantes dans leur activité elles sont venues à Amsterdam pour des raisons de sécurité et pour exercer dans de meilleures conditions de travail. En plus d’être légale, la prostitution y est reconnue et encadrée. On pourrait presque dire, sans la barrière de la morale et de l’opinion d’autrui, que c’est là-bas « un métier comme un autre ».


Pour être prostituée à Amsterdam, il faut avoir 21 ans, une carte verte ou un passeport européen et de quoi louer une vitrine et le studio qu’elle cache. Depuis Le « Projet 1012 » lancé par la municipalité d’Amsterdam en 2007, la prostitution se concentre autour d’un nombre limité de rues. Les vitrines du quartier rouge sont évidement les plus chères et les plus difficiles à obtenir. Les prostituées sont soumises à un règlement assez strict comportant des obligations relatives à leurs conditions d’exercice, notamment à propos de l’hygiène. Elles doivent s’inscrire aux Chambres de commerce et passer un entretien d’admission avec une maison close qui s’assure de leur autonomie. Les travailleuses du sexe paient des impôts et des taxes au même titre que n’importe quel entrepreneur, ce sont d’ailleurs elles qui négocient directement leur prix avec le client. Elles sont entre 2000 et 3500 à travailler en vitrine, 820 dans les clubs et 2000 à domicile (non-licenciées donc moins d’encadrement). On compte aussi environ 600 escortes licenciées et 600 non-licenciées.


Des enquêtes sont régulièrement réalisées pour éviter la prostitution illégale et tout client suspectant une telle activité a l’obligation de le dénoncer. Les exploitants des maisons closes louent les chambres et sont responsables de la conformité des papiers des prostituées et de leur indépendance. Le nombre de vitrines allouées reste fixe : il n’est pas possible de délivrer de nouveaux permis, limitant aussi le nombre de travailleuses de vitrine. Pour assurer leur sécurité, elles disposent de boutons d’alarme en cas de problème avec un client. Mais il existe aussi une grande solidarité entre les prostituées qui s’entraident et veillent les unes sur les autres.


La législation à Amsterdam est un simple exemple, une telle libéralisation serait sans doute difficile à faire accepter en France. Mais l’idée est de garantir un minimum de sécurité à ces femmes puisqu’on ne peut (ne doit) pas les empêcher d’exercer. Des règles juridiques plus adaptées à la réalité du terrain et un meilleur accompagnement permettraient d’améliorer la situation et d’éviter par exemple les meurtres de prostituées, comme celui de Vanessa Campos en août 2018 au Bois de Boulogne.



Morgan Lairy





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