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Revoir Paris : le diamant dans le trauma



Presque sept ans après les attentats du 13 novembre 2015 et deux mois après la fin du

procès, la rentrée 2022 du cinéma français prévoit deux œuvres retraçant les événements

dramatiques ayant plongé la France dans l’effroi. La course contre la montre de l’enquête est abordée dans Novembre, un film signé Cédric Jiminez en salle le 5 octobre. Alice Winocour, elle, choisit de prendre le point de vue des victimes dans un film présenté à la Quinzaine des réalisateurs, Revoir Paris, inspiré par son frère, lui-même présent au Bataclan. Elle met en scène avec intelligence et sans cliché la reconstruction mentale suite au traumatisme postérieur à une attaque terroriste, fictive mais très semblable à celles orchestrées le 13 novembre.


Revoir Paris s’annonçait déjà comme un film à succès, avec en tête d’affiche deux acteur.ice.s

talentueux.se.s et très demandé.e.s par les réalisateur.ice.s : Virginie Efira pour le rôle principal, jouant Mia, traductrice de russe, et Benoît Magimel pour le second, en la personne de Thomas, trader. Deux survivants liés par le destin, sur le chemin de la résilience.

La scène d’introduction montre le quotidien de Mia. Elle se déplace dans Paris à bord de sa

moto pour se rendre à la radio et traduire une interview, dressant le portrait d’une femme forte, une signature de la filmographie Winocour. La journée suit son cours, puis en début de soirée, sous une pluie torrentielle, Mia doit s’abriter : le hasard la mène dans un café, où Thomas fête son anniversaire. Ils ne partagent pas plus qu’un regard, le temps s’écoule de manière réaliste, puis tout s’accélère lorsqu’un groupe de terroriste entre et mitraille. Le bruit des tirs est brut, glaçant, la caméra ne s’attarde pas excessivement sur l’horreur, les plans sont serrés autour de Mia, tétanisée, puis intervient rapidement le silence. Il est appréciable que cette scène ne soit pas tombée dans le sensationnalisme voyeuriste d’un « on s’y serait cru ».


Des liens affectifs troublés


Si Mia doit revoir Paris, c’est principalement parce que les trois mois passés chez sa mère ne lui ont pas permis de se rappeler les événements. Atteinte d’amnésie partielle, la guérison de Mia et de beaucoup d’autres victimes passe par la reconnexion avec leur environnement, proche et éloigné, lors du drame. L’odeur d’un plat, le touché d’un cahier, le contact avec une personne. La mémoire peut aussi, de manière plus piégeuse, se falsifier, comme ont expliqué des psychiatres à Winocour : s’ajoute à la culpabilité du survivant à laquelle fait face Mia l’accusation d’avoir été égoïste face au danger. Revivre l’attentat, c’est aussi comprendre qui on est. Mia souhaite se retrouver, et pouvoir se faire confiance à nouveau. Pour ça, une longue quête l’attend, peuplée de flashback qui reconstituent peu à peu les zones d’ombre de l’horreur, mais aussi les zones de lumière incarnées par la proximité sociale dans le chaos. La musique de la Suédoise Anna von Hausswolff, bien qu’omniprésente et parfois trop électro, est particulièrement bien adaptée aux scènes de flashback.


Thomas, quant à lui, fait état d’hypermnésie : il se souvient de tout. L’atout de cette relation,

c’est qu’ils sont complémentaires, et équilibrent leur douleur l’un l’autre lorsque lui préférerait pouvoir tout oublier, tandis qu’elle veut absolument savoir. L’ancien trader est introduit auprès de Mia comme la bouée de sauvetage de ses souvenirs, mais également comme un love interest : il est regrettable que son personnage n’ait pas été plus développé individuellement. Il prend progressivement la place que Vincent (Grégoire Colin), compagnon de Mia, ne peut plus avoir, absent lors de l’attentat et donc émotionnellement indisposé à la comprendre. Mia met ainsi une distance avec ce dernier, malgré elle, pour que sa reconstruction s’opère autour des victimes qui connaissent le traumatisme qu’elle a vécu. On s’attend partiellement à ce type de scénario, ce qui atténue la crédibilité de l’attraction entre Thomas et Mia, lesquels parviennent tout de même à embrasser les cicatrices du présent pour mieux accepter celles du passé. Si les victimes réapprennent à vivre, Paris aussi : les jeux de lumière dans la capitale sont intéressants, sublimés par l’authenticité des plans.


Pulsion de vie autour de la mort


Ce qui fait la grande force de cette œuvre, outre le jeu d’acteur très convaincant de Virginie Efira, c’est le lien à l’humanité qui ressort des pulsions de vie des personnages. Le diamant dans le trauma, expression qu’utilise Winocour, c’est finalement faire un hommage discret au très célèbre « Après la pluie, le beau temps » de la Comtesse de Ségur (1871). Le contrecoup de la torpeur peut aussi se muer en douceur autour d’une main tenue pour Mia et Assane, d’un baiser à l’envolée pour la serveuse et l’Australien, d’une dernière carte postale pour Félicia. La douleur a une date d’expiration puisqu’elle est guérie par la rencontre de tous les milieux sociaux, de tous les âges et de toutes les nationalités : finalement, c’est l’égalité face à la mort qui rassemble. Les protagonistes se recherchent et se retrouvent, créant une communauté soudée d’individus donnant un sens à leur survie.


Filmé pendant le procès des attentats du 13 novembre et sorti pendant le procès des attentats de Nice, Revoir Paris est un film sensible, éprouvant mais nécessaire, pour les victimes comme pour les indemnes.



Flora Gendrault

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