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Réforme constitutionnelle russe: la préparation pour post-2024?



Cet article a été rédigé avant la période du confinement, il est donc possible que ses informations soient un peu obsolètes.


Depuis la formation de l’Etat en 1991, la Fédération de Russie a connu 4 réformes constitutionnelles, dont celle qui a fait le plus de bruit médiatique n’est autre que la première ratifiée fin décembre 2008 sous la présidence de Dmitri Medvedev. Cette réforme consistait en un allongement de la durée du mandat du président de 4 ans à 6 ans à compter des prochaines élections en 2012. Or, tout ce qui va suivre est maintenant de l’histoire. Vladimir Poutine se présente à nouveau comme candidat aux présidentielles au congrès du parti Russie Unie le 24 septembre 2011 (événement tournant pour certains politistes et journalistes russes), il se fait élire en 2012 puis est réélu le 18 mars 2018. Lors de ces 8 dernières années beaucoup de choses se sont déroulées ; mais nombreux sont ceux se posant la question, à quoi s’attendre dans 4 ans ?

Il se peut que les modalités d’exercice des fonctions du chef d’Etat en Russie ne soient pas très connues par les lecteurs. De ce fait, il faut préciser certains caractères clé. En soit les fonctions du président en Russie, inscrites dans le Chapitre IV de la Constitution, sont assez proches de celles des présidents français sous la Vème République: le président de la Fédération de Russie est le garant de la Constitution, des droits et des libertés des personnes et des citoyens. Il représente l’Etat au sein du pays ainsi qu’au niveau international. Ses pouvoirs sont aussi similaires en ce qui concerne la nomination ou dénomination du ou des membres du Gouvernement ainsi que des hauts-fonctionnaires de l’Etat. Le président russe est élu par suffrage universel direct tous les six ans. Puis, subsiste l’article 81 alinéa 3 qui précise que la même personne ne peut pas exercer le mandat plus de deux fois consécutives. C’est ce dernier mot qui a permis à Vladimir Poutine qui a succédé à Boris Eltsine en 2000, et réélu en 2004, de redevenir le Chef d’Etat en toute légitimité après la présidence de Medvedev qui va devenir son Premier ministre.


Actuellement le président Poutine est à son deuxième mandat consécutif depuis 2012 et donc logiquement et constitutionnellement ça doit être son dernier mandat. Cependant, est arrivée la proposition d’une nouvelle réforme constitutionnelle.

Le 15 janvier 2020 lors du message du président à l’assemblée fédérale (Fusion de la chambre basse, Douma et de la chambre haute = Conseil de Fédération en un seul corps de même façon que le Congrès en France) prononcé tous les ans, Vladimir Poutine fait la proposition d’une nouvelle réforme de la Constitution russe. Parmi les propositions prononcées lors du message demeure des réformes non-constitutionnelles d’ordre social (augmentation des salaires des enseignants, offre du capital maternel à partir du premier enfant) puis et surtout des réformes d’ordre politique qui attirent l’attention la plus importante que ce soit au niveau national ou international.

En ce qui concerne le pouvoir législatif, Poutine a fait la proposition de donner plus de pouvoir à la structure bicamérale. La Douma devra approuver la candidature du premier-ministre ce qu’elle ne peut pas faire actuellement et le Conseil de Fédération aura la possibilité de conseiller le Chef d’Etat sur la nomination des procureurs régionaux et des membres d’organismes étatiques chargés de la mise en place des lois, de la sécurité ou de renseignement, autrement dit des siloviki. Le Conseil de Fédération est présumé obtenir la possibilité de destituer les juges constitutionnels en cas de perte de confiance ou du statut de juge par ces derniers.

En ce qui concerne le statut du président de fédération, une proposition a été faite : la personne se présentant doit vivre en Russie depuis plus de 25 ans et ne pas avoir de nationalité étrangère ou de titre de séjour quelconque. Mais la proposition la plus importante concerne l’article 81 alinéas 3 de la Constitution: le président Poutine a proposé de supprimer le terme « consécutives » de l’article.


Comme vous pouvez l’imaginer cette annonce dans son ensemble a suscité le buzz qui perdure encore en ce moment, que ce soit dans le camp des sympathisants de Vladimir Poutine ou dans le camp d’opposition, « des libéraux » comme ils sont nommés pour certains. Certaines des propositions peuvent être considérées comme improbables car il est quand même envisagé de faire un transfert de certains pouvoirs importants du président au pouvoir législatif dans le pays où le pouvoir de l’exécutif était toujours prévalant. Suite à cet événement diffusé en direct, et également affiché sur des gratte-ciels à Moscou, les discussions persistent notamment sur Internet parmi les utilisateurs, les journalistes, les hommes politiques ou juste des personnes médiatiques sur le destin de ces réformes rendues publiques. Pour les plus optimistes c’est un signe qu’il faut s’attendre à des changements dans la vie politique russe, notamment au départ définitif de Vladimir Poutine après 2024 dont la suppression de « consécutives » est une preuve. Pour les plus pessimistes, c’est un message que le président actuel restera à vie. Pour ceux qui se considèrent comme modérés, Vladimir Poutine va quitter le poste de Chef d’Etat au profit de quelqu’un d’autre mais il sera toujours au sein du gouvernement.


Si certains peuvent se poser des questions sur pourquoi ce scénario de réforme de la Constitution a lieu, il est compliqué de donner la réponse à ce moment même. Cependant, le contexte des dernières années peut quand même être intéressant à étudier. Depuis 2012, le contrôle de l’Etat sur Internet est en hausse ce qui suscite des mécontentements dans la jeunesse et l’opposition dite « libérale ». S’ajoute à cela une stagnation économique due à des sanctions venant du monde Occidental suite au conflit en Ukraine et le désaccord territorial sur la Crimée. En plus, les trois dernières années ont été marquées par des manifestations importantes: en 2017, suite au film de l’opposant Alexeï Navalny accusant le premier-ministre Medvedev de corruption ; en été 2018 après la victoire de Vladimir Poutine aux présidentielles suite à l’annonce de réforme des retraites qui supposait l’allongement progressif de l’âge de départ à la retraite à 65 pour les hommes et à 60 ans pour les femmes. Cette dernière a été passée après certaines modifications et le passage de Vladimir Poutine à la télévision. En septembre 2019 se déroulaient les élections nationales de différents niveaux (gouverneurs, députés remplaçants à Douma, chambres municipales, assemblées législatives), les manifestations qui ont eu lieu ensuite, étaient dues à la non-réception de certaines candidatures d’opposition qui se représentaient à l’Assemblée législative de Moscou.

C’est dans ce contexte que les agences analytiques constatent la perte de confiance progressive envers le parti majoritaire Russie Unie dans la Douma et dans le Gouvernement. Selon l’agence étatique « VTsIOM » parmi les partis présentés dans la chambre basse, Russie Unie dispose pour février 2020 de 32,7% de soutien des interrogés. En septembre 2016 par exemple ce taux était de 41,1%. En plus de cette perte de popularité en 2021 doivent se dérouler les élections dans la Douma et le parti en majorité est en train de chercher des moyens pour gagner de la popularité face à la perte de confiance de la population. Aujourd’hui apparaissent des informations que Russie Unie va subir un rebranding avec un changement de la Charte du parti ainsi que le remplacement de la direction jusque là occupée par Dmitri Medvedev.


En revenant au sujet de la réforme proposée, un autre événement majeur a eu lieu le jour même quelques heures après le discours : le dépôt de la lettre de démission par Dmitri Medvedev. Il fut le premier-ministre qui a occupé ce poste le plus longtemps dans l’histoire de la Russie contemporaine, entre 2012 et 2020. Avec lui une bonne partie des ministres les plus impopulaires ont quitté le gouvernement. La raison de ces démissions fut l’impossibilité d’exécuter dans des délais précis les « décrets de mai »: les décrets soumis au Gouvernement par le président avec des objectifs principaux à exécuter durant le mandat. Ceci fut accompagné d’une impopularité importante du Gouvernement Medvedev durant des années. L’ancien premier ministre fut nommé vice-président au Conseil de Sécurité de Russie, organe consultatif en matière de sécurité nationale. A sa place de Chef du Gouvernement fut nommé l’ancien directeur du Service Fédéral des Impôts, Mikhaïl Michoustine. Entré en fonction il y quelques semaines il est encore tôt pour juger son efficacité, mais pour l’instant il est considéré plus autonome que fut son prédécesseur, c’est lui qui a ordonné, par exemple, la fermeture des frontières avec la Chine du fait de la propagation du virus COVID-19.


Pour conclure, il est sûr que la mise en place de ces réformes marquera la vie politique russe avant et après 2024. Quelle sera la place de Vladimir Poutine dans cette vie politique à venir? Aujourd'hui il n’est pas possible de donner des pronostics. Pour une part importante des politistes et journalistes, Vladimir Poutine quittera le poste de Chef d’Etat mais restera quelque part à côté de l’exécutif. Nombreux sont ceux qui évoquent le scénario du Kazakhstan quand le président Nazarbayev a quitté le poste de président (occupé de 1990 à 2019) pour devenir le « père de la Nation » et le membre du Conseil Constitutionnel tout en gardant contact avec l’exécutif en place. La probabilité de l’avènement d’un tel scénario en Russie est toutefois redoutée mais il y a des chances que Vladimir Poutine ait une place importante dans le « Conseil Étatique », institution initialement consultative auprès de l’exécutif dont le but est de délibérer sur des sujets d’actualité de façon non-contraignante. Dans le cadre des réformes, le président Poutine veut lui donner un pouvoir contraignant.

Suite à cette annonce, une commission parlementaire a été créée pour préparer les amendements de la réforme constitutionnelle ainsi que la mise en place d’un référendum. Les députés ont déjà fait la proposition de nommer les anciens présidents sénateurs à vie. Selon le journal « Vedomosti » et le centre analytique non-gouvernemental Levada, 64% des Russes interrogés sont prêts à participer au vote et 72% des interrogés soutiennent ces réformes notamment sur leur aspect social. Le vote doit avoir lieu le 22 avril 2020.


Ivan Aleksakhin


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