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Le décret « anti-ONG », nouvelle arme du gouvernement italien contre l’immigration en Méditerranée



Alors que 74 naufragés ont perdu la vie au large des côtes italiennes dimanche 26 février 2023, le gouvernement italien de Giorgia Meloni continue son combat contre l’immigration et les organisations non gouvernementales (ONG) de sauvetage en mer. Le gouvernement italien utilise notamment pour cela le nouveau décret 1/2023, appelé dans la presse italienne « décret anti ONG », promulgué en loi le 24 février 2023.



Ce décret s’inscrit dans une longue histoire de combat de l’immigration irrégulière de la part des différents gouvernements italiens depuis 2017, au-delà du seul gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni, au pouvoir depuis octobre 2022. Les ONG intervenant en mer Méditerranée sont régulièrement criminalisées, comparées à des passeurs et accusées de trafic d’êtres humains par la droite et l’extrême droite italienne. Elles subissent un acharnement médiatique et judiciaire, de nombreux procès ayant été intentés contre elles, la plupart abandonnés faute de preuves.

Le sujet de l’immigration est un sujet extrêmement polémique en Italie, alors que 105 000 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes en 2022, dont seulement 11,2 % de ces migrants sont arrivés à bord des bateaux des ONG de sauvetage. L’Italie dénonce une aide insuffisante de l’Union européenne à ce sujet. C’est dans ce contexte qu’a été introduit ce décret-loi par le gouvernement.



Sur la forme tout d’abord, ces mesures ont été prises par le gouvernement dans un décret le 3 janvier 2023, permettant ainsi de contourner le Parlement et les potentiels débats qu’elles auraient engendrées. Les parlementaires ont ensuite eu deux mois pour voter ce décret et donc le transformer en loi, ce qui s’est fait le 24 février.

Sur le fond ensuite, cette loi augmente le contrôle administratif des autorités sur les bateaux des ONG de sauvetage en mer. Elle demande également aux navires de rejoindre immédiatement le port de débarquement assigné par les autorités et de les sanctionner si jamais cette notion d’immédiateté n’est pas respectée. Cela oblige les ONG à n’effectuer qu’un sauvetage à la fois et empêchera leurs bateaux de s’arrêter pour effectuer un sauvetage en cours de route ou les exposera à des sanctions administratives (amende et immobilisation du navire) si elles le font. De plus, depuis plusieurs mois maintenant, le gouvernement italien assigne aux ONG des ports de débarquement toujours plus éloignés de leur zone d’intervention qu’est la Méditerranée centrale. C’était le cas dernièrement avec l’assignation des ports d’Ancône ou de Ravenne au centre-nord du pays, au lieu de ports en Sicile ou en Calabre, les régions les plus proches. Ces décisions des autorités italiennes obligent les ONG à parcourir des milliers de kilomètres supplémentaires, ce qui augmente le temps passé en mer pour les naufragés après avoir vécu des évènements traumatisants, laisse la zone plus longtemps sans bateaux de sauvetage et augmente les dépenses des ONG, notamment en matière de carburant. Ces sanctions administratives sont prises par les préfets, agents du pouvoir exécutif, donc sous les ordres du gouvernement italien et le contrôle du juge administratif ne peut se faire qu’a posteriori, souvent longtemps après. Le gouvernement italien semble vouloir jouer sur ces délais car pour l’instant, le juge administratif a souvent donné raison aux ONG en indiquant qu’elles avaient respecté les procédures imposées par la loi.

L’ONG peut être condamnée à une amende allant de 2 000€ à 10 000€ en cas de non communication des informations et d’une amende allant de 10 000€ à 50 000€ en cas de non-respect des autres mesures, ainsi qu’à une immobilisation du bateau de 20 jours. En cas de récidive, cette immobilisation peut être portée à deux mois et le navire peut être totalement confisqué au bout de la troisième fois.


Les nouvelles peines introduites par ce décret-loi ont eu une première application le 23 février dernier, quand les gardes-côtes d’Ancône ont notifié au Geo Barents, bateau de l’ONG Médecins sans frontières, une immobilisation de 20 jours et une amende de 10 000€ pour n’avoir pas fourni aux autorités l’enregistrement des données de voyage à son arrivée dans le port d’Ancône quatre jours auparavant, suite à un sauvetage en mer.

Médecins sans frontières a répondu dans un communiqué que « Le Geo Barents se conforme en permanence aux réglementations en vigueur et a collaboré en toute bonne foi avec les autorités en fournissant toutes les données disponibles relatives aux opérations de sauvetage, conformément à ses obligations en vertu du droit international. Nous considérons que cette sanction, basée sur la demande de données VDR [l’enregistreur des données de voyage], sort du cadre du droit maritime et qu’il s’agit donc d’un acte illégitime visant à entraver les efforts civils pour sauver des vies en mer. »


La commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, a adressé une lettre au gouvernement italien le 26 janvier pour demander le retrait de ce décret, ce qu’il a refusé.

Les différentes ONG de sauvetage en mer alertent sur le fait que cette loi augmentera le nombre de victimes en mer Méditerranée et appellent les États côtiers à remplir leurs obligations légales de sauvetage en mer. Elles demandent également à l’Union européenne de mettre en place un mécanisme de sauvetage au niveau européen.

En effet, le sauvetage en mer est une obligation du droit international. Selon l’article 98 de la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer de 1982 : « 1. Tout État exige du capitaine d’un navire battant son pavillon que, pour autant que cela lui est possible sans faire courir de risques graves au navire, à l’équipage ou aux passagers : a) il prête assistance à quiconque est trouvé en péril en mer; [...] 2. Tous les États côtiers facilitent la création et le fonctionnement d’un service permanent de recherche et de sauvetage adéquat et efficace pour assurer la sécurité maritime et aérienne et, s’il y a lieu, collaborent à cette fin avec leurs voisins dans le cadre d’arrangements régionaux. »


Plus de 20 200 personnes ont trouvé la mort en mer Méditerranée depuis 2014 selon l’Organisation internationale des Migrations. La plupart fuit notamment la Libye, pays en proie à une guerre civile depuis 2011.



Bahia Amrouche




Sources :









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