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Le désespoir libanais

Dernière mise à jour : 26 oct. 2022


Photographie de Nabil Mounzer



Le mercredi 14 septembre 2022, Sali Hafiz, libanaise de 28 ans, braque sa banque afin de récupérer les économies auxquelles elle ne pouvait plus accéder pour payer le traitement médical de sa sœur. Le geste de cette jeune femme a été soutenu par la population qui n’a pas été étonnée de la radicalité de son acte. Sali Hafiz n’est pas un cas isolé et d’autres braquages ont eu lieu et continueront d’avoir lieu tant que l’argent confié aux banques ne pourra être retiré. La vidéo de la prise d’assaut a fait le tour de Twitter en quelques jours, mettant en lumière la situation de désespoir dans laquelle se trouve les libanais.

Depuis 2019, le Liban connaît une crise sans précédent, autant économique que sociale ou politique. Une inflation estimée à 145% en 2021, entraîne la dépréciation de la valeur de la monnaie, la livre libanaise, qui a perdu 90% de sa valeur. La situation est telle que 80% de la population se retrouve aujourd’hui sous le seuil de pauvreté fixé par l’ONU. Les libanais doivent composer avec une hausse des prix et d’importantes pénuries de produits de première nécessité, d’essence ou encore de médicaments. Les coupures de courant peuvent aller jusqu'à 23 heures par jour et le prix du bidon d’essence est supérieur au salaire minimum. Les banques imposent une restriction bancaire violente faute de liquidité, empêchant leurs clients d’accéder à leurs économies. Les libanais réclament en dollars l’équivalent de ce qu’ils avaient placé avant la dévaluation drastique de la livre libanaise. Pourtant, l’effondrement des services publics, du système de santé ou encore de l’école, ne semble pas faire réagir la classe politique. Les dirigeants libanais sont désignés responsables de la crise, accusés de corruption et d'inefficacité, en témoigne la lenteur des réformes et des plans de redressement pour pallier l’effondrement économique et social. La complexité du régime politique libanais a un rôle essentiel à jouer dans la crise.


Historiquement capitale culturelle et économique du monde arabe, le Liban est un pays plein de contradictions, maintenu au bord de la crise par la cohabitation de différentes communautés. Lors de l’indépendance du pays en 1943, le Liban devient une république confessionnelle, c'est-à-dire que les postes de pouvoir sont partagés proportionnellement au poids démographique des différentes et nombreuses communautés religieuses présentes dans le pays. Il est décidé que le président sera chrétien maronite, le premier ministre musulman sunnite, le président de la chambre des députés musulman chiite et le vice-président de la chambre des députés chrétien orthodoxe. Les chrétiens maronites forment une communauté chrétienne appartenant au rite oriental de Syrie et du Liban. Les musulmans sunnites et chiites représentent les deux branches principales de la religion musulmane, qui se sectionnent à la mort du prophète Mahomet en désignant des successeurs différents. D’un côté, les sunnites vont désigner Abou Bakr, un fidèle compagnon de Mahomet, et vont considérer le Coran comme une œuvre divine. À l'inverse, les chiites vont choisir Ali au nom des liens du sang et vont considérer que l’imam doit être un descendant de la famille de Mahomet, tirant son autorité directement de Dieu. On retrouve également la communauté des druzes, des grec-orthodoxe, des grec-catholique.


Mais la tripartition du pouvoir, étant établie sur le recensement de la population en 1932, période où les chrétiens maronites étaient majoritaires, va être au fil du temps de plus en plus contestée. En 1948, Israël déclare son indépendance, provoquant la fuite de 800 000 Palestiniens, dont 100 000 vont se réfugier au Liban, changeant ainsi la démographie du pays qui ne compte qu’1 million d’habitants. Ces Palestiniens sont des musulmans sunnites, pourtant le poste présidentiel est maintenu par un chrétien maronite, exacerbant les tensions politiques. En 1975, une guerre civile éclate. Elle va durer presque 15 ans, causant plus de 150 000 morts. En 1989, les accords de Taëf, mettant fin à la guerre civile, réorganisent le partage des pouvoirs entre religions, et tentent un rééquilibrage entre les communautés musulmanes et chrétiennes. La répartition paritaire des sièges de députés ne va pas suffir contre les élites politiques qui détournent le système à leur avantage, insufflant la prédominance de la corruption, du marchandage et du blocage politique pour se maintenir au pouvoir. Le confessionnalisme est accusé d’avoir contribué à un immobilisme politique responsable de la crise économique et sociale. L’évolution du régime semble impossible tant son équilibre est précaire, marqué par les souvenirs de la guerre civile.


À partir de 2011, le conflit syrien provoque l’afflux de 1,5 million de réfugiés pour 6 millions de libanais. Majoritairement musulmans, ils appuient les mutations démographiques qui sont ignorées par la classe politique. Depuis 2019 et le début de la crise économique, des manifestations qui revendiquent au-delà des divisions communautaires, ont contraint le premier ministre à la démission. L’explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020 a dévasté des quartiers entiers de la capitale faisant plus de 200 morts. Depuis, le pays connaît une succession de premiers ministres tous incapables d'entamer de vraies réformes dans un système bloqué. L'enquête ouverte sur l’explosion est entravée par des ingérences politiques et pour l’instant aucun responsable n’est désigné. La classe dirigeante continue de s’accrocher au pouvoir, laissant sombrer les libanais dans un désespoir généralisé. Le 31 octobre 2022, le mandat du président Michel Aoun prendra fin après six ans de pouvoir, laissant espérer au peuple à bout de souffle le renouvellement d’une classe politique figée dans le temps.


Rachel Garnier



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