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« Debout les femmes ! »

Le nouveau film de François Ruffin qui recentre le débat sur les choses essentielles.



A l’heure où les discussions politiques tournent autour de l’identité, de la sécurité et des méchants musulmans qui vont voler les 4 heures de nos gamins tellement ils sont méchants, le député-reporter François Ruffin a décidé de remettre au cœur du débat la question sociale et plus précisément à travers la problématique des travailleuses des métiers du lien (AESH, femmes de ménage, auxiliaires de vie sociale) , dont l’utilité a été plus que mise en exergue durant le confinement, mais pourtant tant méprisées lorsque les fiches de paye tombent.


C’est dans un contexte de mission parlementaire ayant pour but de rédiger un rapport sur les métiers du lien (effectuée entre 2019 et 2020), que Ruffin a décidé de repartir pour un nouveau « road trip parlementaire » (formule à peine usée par tous les articles parlant du film) aux côtés de son fidèle camarade Gilles Perret, avec qui il avait déjà co-réalisé J’veux du soleil en 2019. C’est donc de ce road trip qu’est né le film Debout les femmes, actuellement en salles depuis le 13 octobre.





Genèse et naissance d’un duo que tout oppose


Si les protagonistes du film restent ces femmes exerçant les métiers du lien, le film démarre par la formation d’un binôme assez inattendu. En effet, pour cette mission parlementaire, François Ruffin doit composer en binôme avec un député de la majorité, le « Donald Trump français » Bruno Bonnell. Ce dernier, entrepreneur de formation, connu pour ses positions très libérales sur le plan économique, s’était notamment fait connaitre en 2015 en présentant l’adaptation française de The Apprentice, la célèbre émission de téléréalité dont la version américaine a longtemps été présentée par Trump.


L’hétérogénéité des deux profils est la principale vectrice de toute la partie humoristique du film, les deux hommes se traitant respectivement de « têtes de cons ». Pourtant tout au long de la mission va naître une certaine complicité entre les deux hommes. Bruno Bonnell va d’ailleurs être celui qui aura l’évolution la plus intéressante. Le capitaliste froid et candide sur la réalité du terrain va laisser place à un personnage profondément humain et empathique, notamment à travers les séquences où il évoque sa vie personnelle, lui qui a été confronté au handicap de son fils qui a eu recours aux services d’une aide à domicile.



Les travailleuses des métiers du lien : véritables héroïnes du film


Si le duo Ruffin-Bonnel occupe une place importante (parfois peut-être un peu trop d’ailleurs), les personnages centraux du documentaire restent fort heureusement ces femmes exerçant ces métiers du lien. Qu’elles viennent d’Amiens, d’Abbeville, de Dieppe ou de Paris, toutes partagent les mêmes caractéristiques. Tout d’abord il y a l’invisibilisation, en particulier en ce qui concerne les femmes de ménage. Comme si les dorures et les bureaux de l’Assemblée Nationale restaient propre par magie.


Il y a aussi la maigre paye à chaque fin de mois. Chacune de ces femmes sont toutes des travailleuses pauvres, la plupart sont payées moins que le SMIC. La raison ? Outre le fait que ces métiers soient féminins et que cela rend les augmentations compliquées dans une société patriarcale, les métiers du lien reposent sur des contrats de moins de 35h. Pourtant l’amplitude horaire dépasse, elle, très largement les 35h. Mais l’absence réelle de statut de ces métiers empêche de prendre en compte dans le travail les temps de trajets (très nombreux), etc. De nombreuses aides sociales leur passent également sous le nez. Ces amplitudes, en plus de rendre le travail fatigant empêchent également de s’épanouir correctement dans une vie de famille.


Enfin, ce qui caractérise ces femmes, c’est la passion avec laquelle elles exercent leur métier, et ce en particulier pour les AESH et auxiliaires de vie. Elles savent que leur salaire ne sera pas à la hauteur mais qu’importe, ce qui compte c’est de faire le travail bien, quitte à se détruire leur propre santé. Les témoignages montrent aussi à quel point ces métiers détruisent le corps (les épaules et les genoux en première ligne). Malheureusement, le mode de calcul de salaire évoqué précédemment les pousse de plus en plus à devoir travailler plus et à chronométrer leurs interventions. L’aspect humain du métier, pourtant central doit être sacrifié. Quelques-unes de celles rencontrées dans le film avouent ne pas se voir continuer longtemps dans ces métiers tant ce n’est plus vivable.


Les témoignages de toutes ces femmes donnent un écho supplémentaire à la phrase prononcée par Emmanuel Macron pendant la pandémie (reprise d’ailleurs dans le film) : « Notre pays, tient tout entier, sur des femmes et des hommes que nos économies rémunèrent si mal « .





Un art de la mise en scène


Outre le fond, le film brille également par sa forme et son sens de la mise en scène parfaitement calibré par le duo Ruffin-Perret. Les personnes ayant vu Merci Patron ! et J’veux du soleil ! y retrouveront la patte du binôme. Il y a d’abord la façon de montrer la brutalité de la majorité présidentielle, en total contraste avec la chaleur humaine des travailleuses. Ruffin dira d’ailleurs souvent en interview à propos de son collègue Bonnell que même s’il était empathique à l’extérieur, dès qu’il rentrait dans l’assemblée, il redevenait l’homme libéral, votant sans broncher les lois du gouvernement. La brutalité macronienne est d’ailleurs parfaitement montrée dans une séquence à la fois comique et tragique où les amendements de Ruffin concernant les conditions de travail des métiers du lien sont rejetés un par un face à un François Ruffin dépité. Pourtant, la mise en scène pousse plus à l’espoir et à l’enthousiasme qu’au défaitisme. Il tente de montrer que les voix de ces femmes peuvent être entendues. La séquence de fin, très joliment mise en scène, où les rôles entre décideurs et travailleuses sont inversés. Comme lors de leurs précédents films, Ruffin et Perret mettent en scène une sorte de « revanche des prolos ». Le tout, encore une fois sur une jolie bande son, oscillant entre Bourvil et l’Hymne du MLF (Mouvement de libération des femmes), dont est tiré le titre du film.



En résumé, le seul conseil que je peux donner, c’est d’ailler voir ce film. Outre la claque politique qu’il apporte, il donne beaucoup d’espoir et d’optimisme. Le tandem Ruffin-Perret évidemment bien aidé par toutes ces protagonistes hautes en couleur arrive à apporter une grande dose de tendresse et de poésie au débat politique. Si on aurait pu craindre un côté « chevalier blanc » venant de Ruffin, homme providentiel sauvant des femmes en péril, le résultat nous montre heureusement le contraire à travers la mise en lumière des femmes fortes, et non pas uniquement le combat d’un député.




Simon Bouquerel




Cet article est le 1er que nous publions dans le cadre du partenariat fraîchement établi avec La Ruche Média, webzine d’esprit critique qui décrypte l’actualité politique, société, culture, médias. Cette collaboration nous permet de vous proposer des contenus plus variés, et vice-versa pour La Ruche Média, qui pourra diffuser certains articles des étudiants-rédacteurs alimentant en beauté chaque semaine l'Arespublica.



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